Je
sais que c'est toi. Cette histoire tu la connais aussi bien que moi, allez.
Ta robe et ton air de te faire chier en dansant, tes pas, tes petites chaussures
quand tu dansais, on aurait dit que tu allais tomber par terre d'ennui.
Ton mec, je ne sais pas. Cette histoire j'y ajoute une moto dans la nuit,
une femme qui sort son arme et qui tire sur une sale cible. Il y a toutes
ces images dans la rue, des types, des filles qu'on cherche. Tu te souviens
d'eux aussi, alors tu vois bien. Tu la connais notre histoire ne joue pas
avec ça, et elles ces femmes à moto, elle faisaient leurs courses comme
toi, comme c'est facile aussi. D'autres types, ils sont chez eux, ils lisent
le journal du jour de l'attentat, je ne sais plus lequel et ils le montrent
à la caméra en disant vous voyez que ce n'est pas nous dans cette histoire
là, on était ici chez notre mère. Ils me font rire, il y avait leur portrait
partout dans les rues. Le centre de communication militaire d'Heidelberg,
la gare de Bologne, tout se mélange. Ne fais pas l'innocente. Maintenant,
elles sont dans une prison terrible, pour tout ça l'exemple et la terreur.
Elles ne voient personne, on lit leur courrier, qui leur écrit ? Tes pas
de danse, elles sont isolées et meurent, une lumière jaune-verte partout,
tu sais tu te faisais chier. Après tu m'as dit au téléphone qu'on avait
pas d'histoire, après cette nuit là moi j'ai dit ensemble faisons la alors.
Je les remercie mais je ne sais pas quoi faire d'autre. Ecrire ça, comme
j'y pense depuis longtemps. Un beau jour un type s'est suicidé, il avait
été viré par ce mec là, cette image d'une vie sale bien française. Le type
viré, jamais retrouvé de boulot, n'a pas eu une belle mort. Il a été tué
sans y penser, par abandon, de la viande qui sert à rien, fini, salut voilà
une lettre tapée bien proprement, surtout ne la perdez pas. Je le vois lui
qui sort, entre, d'une voiture un immeuble à montparnasse, qu'est ce qu'il
a décidé aujourd'hui, les affaires marchent, on l'appelait pas "le nettoyeur"
dans notre histoire ? un truc comme ça, un nom comme dans un gang, la fierté
tu vois, 21000 chômeurs 21000 lettres tapées avec le nom l'adresse insérés,
reçues un beau jour indigne. C'est une vieille histoire, je sais bien tout
ça. Il sort, il entre, une voiture, regarde autour de lui, il y a
une moto qui arrive. La jeune femme qui sort son arme, une commisération,
notre histoire continue avec cette image, un plissement, et des femmes qui
tuent pour sauver ce qui peut encore être sauvé, c'est lent, après, je te
rappelle plusieurs fois, tu n'es jamais là, je ne sais pas ce qui se passe,
je suis seul dans notre histoire. La balle, un peu de bruit, du sang évidemment
par terre. Ton répondeur est plein de messages vides de moi, je commence
à oublier des choses, j'y pense tout le temps. Ton nez, tes yeux, tes mains.
C'est pas comme si je l'avais tué, mais j'y pense. C'est une belle image,
cerclée de craie blanche comme à l'école tous les matins quand on arrivait
sur le tableau c'était écrit blanc sur vert ou noir, Morale. Je lève mon
arme, il y a beaucoup trop de cibles et il y a nous toi tu fais quoi ? on
m'a dit après que tu étais enceinte. J'appelais plus, je fais des phrases.
T'as choisi ce que tu pouvais, on m'a dit aussi que tu allais mal, c'est
un peu ce qui me plaisait en toi, comment t'en vouloir. Tu aurais pu aller
mieux avec moi ou mal aussi, j'ai choisi de penser à autre chose, des fois
moi aussi je suis un fasciste, mais je me surveille il me reste la conscience
de classe, "Morale". Cette obsession pour les femmes qui s'ennuient. Les
décharnées, la mort dans l'âme on dit, les ouvriers. Prends cette histoire
comme la tienne. Il y en a, tu vois, des histoires qui sont à nous, toi
et moi, aux ouvriers, de vieilles histoires je sais bien que ça n'existe
plus. Je suis assis dans le métro, toi en face tu me fixes et je te regarde
du coin de l'oeil mais c'est tout. Tu me regardes, je te fixes comme tu
veux. Tes yeux noirs, tes cheveux que tu remets en place derrière l'oreille.
Tu tournes la tête vers la fenêtre dans le noir du métro, le bruit des rails,
je te regarde dans la fenêtre noire. Tu me fixes alors je souris un peu.
Seulement tes yeux dans le noir qui défile. La vitesse, puis là
tu tournes la tête de l'autre côté, tu mets ta main derrière sa tête, tu
l'embrasses subitement dans le cou et tu baisses la tête, je souris un peu.
Je pense à Nathalie dans sa prison, je n'ai jamais rien fait d'autre qu'y
penser, je te remercie pour l'histoire, Commando Pierre-Overney. Un petit
corps dans une petite robe, tu es si belle et forte, je ne sais pas comment
tu fais pour tenir, fragile ennui, lividité qui nous apporte cet espoir,
tes bras si fins qui ne me porteront jamais. La nuit noire et toi à la fête
foraine, les petites lampes en guirlande jaune et tu danses d'ennui pour
moi, seule. Tu sais même après cette histoire, ça ne change rien. Je ne
te plaisais pas et c'est bien ça le drame. Petite camarade! l'histoire avec
toi partie la tête en avant tu sais que c'est mieux comme ça.