c a r o l i n e s a r r i o n

 

Sujet: Les cicatrices, racontez en quelques lignes.

A celles qui ont de grandes mains.

 

On peut longuement disserter sur le concept de cicatrice, son sens propre et son sens figuré.
Je ne parlerai pas du sentiment que certains d'entre nous éprouvent de n'être qu'une cicatrice. Ce point étant réglé, je parlerai des traces que laissent les petits gestes sur le corps.

Par exemple.
Le soir d'un premier janvier de l'année X, on casse un verre. On ramasse les morceaux délicatement, on jette le tout précautionneusement dans la poubelle. Le lendemain, on veut encore jeter autre chose et de sa grande main, d'un geste sur, on tasse énergiquement le contenu de la poubelle. Le petit doigt s'ouvre en sang.
Les mains, les doigts, sont les premières victimes de ces petits gestes. Les mains agissent sans qu'on y pense. Leurs mouvements sont petits certes par leur amplitude, mais hors de porté pour l'entendement, souvent, et les bras les suivent purement et simplement.
Ce sont les mains qui coupent le chou-fleur.

Par exemple.
Votre petit ami vous offre un Opinel et vous constatez avec joie que sa renommée n'est pas usurpée. Vous pouvez enfin couper avec facilité et pas seulement le chou-fleur - qui n'est pas en soi difficile à couper - et vous le coupez avec légèreté et avec lui, le pouce de l'autre main, pas la droite qui avait tassé. La gauche. Et l'ongle du pouce, avec un petit bout de chaire, pend, et pisse le sang et malgré le public présent cette fois, vous ne recueillez aucun apitoiement. Pendant dix jours vous portez un pansement ridicule, une poupée, que le pharmacien vous arrache régulièrement avec un certain sadisme. Les ongles repoussent toujours mais pas toujours comme avant et vous voyez le truc informe reprendre forme au bout d'un an, peut-être plus, après l'avoir coupé plusieurs fois, avec l'instrument approprié.

Les ongles, en tant que toute dernière extrémité, sont meurtris à l'occasion de ce que l'on peut appeler le coinçage de porte.

Par exemple.
De la main droite, vous vous refermez, de toutes vos forces, la porte sur la main gauche, coincée à la charnière. Bobo classique. Changement de couleur (rouge, bleu, violet pour finir au noir) et de texture (apparition du caillot de sang, d'écolage du bout de l'ongle jusqu'à disparition) et pendant tout ce temps on vous demande ce que vous vous êtes fait : je me suis coincé le doigt dans la porte, répondez-vous, vu la laideur de la cicatrice on vous plaint quand même : ça a dû faire mal non?
Au bout d'un temps qui vous semble encore fort long, l'ongle reprend une forme à peu près semblable, c'est à dire la forme d'un ongle normal aux yeux de ceux qui n'ont pas bien connu votre ongle précédant.

Sur les mains, et parfois sur les poignets qui sont apparemment aussi exposés, apparaissent les traces des petites écorchures, griffures, souvent cognés au même endroit. Le monde est jalonné de coins. Ceux-ci faisant éclorent autant de bleus mignons auquels vous n'avez pas forcément accès et que vous ne voyez parfois jamais.

Il y a des endroits comme ça propices aux chocs, on les connaît et on y revient sans jamais prendre de mesures sérieuses.
La propension, d'ailleurs, aux bobos, peut se mesurer au nombre de fois où vous trébuchez sur un objet avant de le déplacer. Il y a ceux qui le déplacent sur un coup de tête, à un endroit encore plus propice à la bousculade et pour ceux là.
p l e i n e p e a u