Mirabelle prend des gants

Ce qui est une private joke, donc, qui restera privée, et donc privée de sens pour les autres, même pour moi, quand je ne me souviendrais plus de la joke….Cela me laissera une cicatrice, j'en suis sure, une cicatrice à l'âme…

Je ne sais pas combien j'ai de cicatrices sur le corps, je pourrais le savoir, bien sur, il suffirait que je me trace des petits carrés sur le corps, des petits carrés réguliers, naturellement, d'ailleurs, c'est idiot de dire ça, parce que l'idée de carré implique la perfection, comme celle de cercle, d'ailleurs. J'ai des moments où je redeviens platonicienne, si un carré est un tant soit peu irrégulier, s'il a un côté un peu long ou un angle tordu, il cesse d'être carré pour devenir une figure banale…

C'est sans doute la même chose pour les cicatrices, les cicatrices de l'âme surtout.

Moi, j'en ai une vieille cicatrice de l'âme, c'est celle que m'a fait Nikita Serguievitch Kroutchev quand il m'a dit, parce que j'ai eu l'impression qu'il me le disait à moi, que Nikolai Boukharine, Christian Rakovski et plein d'autres étaient innocents, évidemment, je le savais bien, mais confusément, plus comme un hématome, un bleu de l'âme, tandis que N.S. Kroutchev, il a fait un trou qu'il a essayé de recoudre comme il pouvait, mais ça laisse une cicatrice, qui a longtemps coulé, d'autant qu'il y en avait d'autres, des traumatismes.

J'en ai eu un joli une autre fois, quand j'ai lu le texte de l'enregistrement de l'interrogatoire de Rajk Laszlo, dans une villa des environs de Budapest…Ca commence assez bien, on s'appelle camarades, et puis comme l'entretien ne se passe pas aussi franchement que le voudraient les questionneurs, on descend faire un tour a la cave, là on n'enregistre pas, et puis on s'appelle plus camarade, on redescend à la cave plusieurs fois comme ça….et ça se termine quelques jours plus tard, quand une voiture noire avec des types en gris disperse des cendres sur une route, un matin, pas de pèlerinages, camarades.

Ce qui est mauvais pour la cicatrice, c'est qu'on sait bien qu'un des interrogateurs avait été interrogé pareil quelques années plus tôt, qu'il était descendu à la cave aussi, il devait sans doute avoir une cicatrice ou deux, au corps peut-être, à l'âme sûrement. Mais c'était un type très gentil, j'ai connu une fille, son père était un bureaucrate très connu, qui aimait Stendhal, et bien il allait en week-end dans la datcha de l'interrogateur, avec sa fille d'ailleurs, et je te parle de Stendhal, sans doute…

Je sais pas si j'ai parlé des cicatrices ou de la mélancolie, la mélancolie, c'est comme une cicatrice qui s'efface tout doucement,peut-être…

 Tiens l'autre jour, il y a quelqu'un qui me disait qu'il rouvrirait bien un goulag… il faut déjà aménager la cave…